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24 avril 2012 2 24 /04 /avril /2012 11:32

le Conseil National de la Résistance, élément clé du (paradoxal) discours présidentiel

Le Conseil National de la Résistance (CNR) est un autre des fondamentaux du discours de Nicolas Sarkozy depuis 2007, une référence cardinale constituant, pour la façon dont il entend se présenter à la Nation, un appui essentiel et un attachement affiché comme inattaquable (et qui le rendrait, lui, insoupçonnable ?). Mais nombre de ses choix politiques étant en contradiction avec les fondamentaux du CNR, cette référence deviendra, du même coup, un emblème de la discontinuité présidentielle entre discours et actes, attachement proclamé aux héros de la  France libre et « réajustement idéologique » inverse, qui nourriront à son encontre « l’argument de Vichy ».

Créé sous l’égide de Jean Moulin, choisi par de Gaulle pour unifier les mouvements de Résistance, avec les 8 principaux mouvements de résistance, 2 principaux syndicats et 6 principaux partis de la III° République, le CNR adopte le 15 mars 1944, le « Programme d’action de la résistance » qui se veut le fondement de la République à venir et sera progressivement traduit dans les faits après la libération. Mais le CNR est aussi à l’origine d’un pacte politique associant des gaullistes de droite aux communistes, pour assurer à l’avenir une pax politica républicaine. « C’est par ce programme que les liens moraux et politiques s’établiront entre le peuple et les hommes d’Etat », note Louis Saillant, son président.

Le programme veut « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale » ; de là naîtront les nationalisations de Renault, de banques, EDF , GDF, Charbonnage de France, la Sécurité Sociale, etc. et de grands objectifs comme « la garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité » ; « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence » ; « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’Etat, des puissances d’argent » ; « l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie » ou encore, pour les enfants, « accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents ».

En 2004 déjà, des résistants historiques s’inquiètent dans un Appel : « Au moment où nous voyons remis en cause le socle des conquêtes sociales de la Libération, nous (…) appelons les jeunes générations à faire vivre et retransmettre l'héritage de la Résistance et ses idéaux toujours actuels (…) : Comment peut-il manquer aujourd'hui de l'argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes sociales, alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération ? (…) Nous appelons les enfants, les jeunes, les parents, (…) les éducateurs, les autorités publiques, à une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, l'amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous. Nous n'acceptons pas que les principaux médias soient désormais contrôlés par des intérêts privés (…).  Parmi les signataires : Lucie et Raymond Aubrac, Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, etc.

 

Dans son discours au Congrès du 22 juin 2009, le Président Sarkozy vante les mérites du CNR : « Le modèle républicain reste notre référence commune. Et nous rêvons tous de faire coïncider la logique économique avec cette exigence républicaine. Ce rêve nous vient, pourquoi ne pas le dire, du Conseil National de la Résistance qui, dans les heures les plus sombres de notre histoire, a su rassembler toutes les forces politiques (il oublie d’ajouter ‘issues de la résistance ‘) pour forger le pacte social qui allait permettre la renaissance française. Cet héritage est notre héritage commun. »

Mais d’autres discours dans la majorité, affirment le contraire. Le 4 octobre 2007, Denis Kessler, ancien numéro 2 du Medef[1], éditorialiste du magazine économique Challenges, y publie : « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ! », dans lequel il explique que « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. (…) Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du CNR ! (…) Cette architecture singulière … est à l’évidence complètement dépassée, inefficace, datée. Mais (…) il faut aussi que le débat interne au sein du monde gaulliste soit tranché, et que ceux qui croyaient pouvoir continuer à rafistoler sans cesse un modèle usé, devenu inadapté, laissent place à une nouvelle génération d’entrepreneurs politiques et sociaux. Désavouer les pères fondateurs n’est pas un problème qu’en psychanalyse » (texte complet en annexe).

Un an plus tard[2], Charles Beigbeder alors PDG de Poweo, premier opérateur indépendant d’électricité et de gaz, affirme à son tour que le rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, dit rapport Attali permettrait enfin d’en finir avec cette France « qui continue  à vivre sur un modèle fondé en 1946, à partir du programme du Conseil national de la Résistance ».

 

Or c’est à eux que les faits donnent raison. Le programme du CNR est méthodiquement défait : privatisation partielle d'EDF, de la SNCF, de la Poste, restrictions du droit du travail, privatisation grandisssante de l’assurance maladie et vieillesse, reprise en main des médias par des « puissances d’argent », etc.. Si les premiers coups de griffe sont anciens, le processus ne cesse de s’accélérer. Il faut lire sur ce point « Les jours heureux, le programme du CNR : comment il a été écrit et mis en œuvre, et comment Sarkozy accélère sa démolition »[3] où les auteurs montrent concrètement, point par point, comment les principaux acquis du CNR ont été et sont actuellement démantelés.

Le Président Sarkozy s’en défendra le 15 novembre 2011 mais de façon très singulière : « J'entends dire, ici où là, que le pacte de 1945 serait remis en cause, (…) que nous serions en train de trahir l'héritage que nous ont laissé les pères de notre modèle social. 
Je veux dire que je n'accepte pas ces mensonges et (…) ces outrances. Je suis, plus que tout autre, attaché à l'idéal fixé par le général de Gaulle et par le CNR. Le Conseil National de la Résistance n'a pas voulu un système d'aumône. Il a voulu construire un système digne pour une France démocratique et libre. La fraude : c'est la plus terrible et la plus insidieuse des trahisons de l'esprit de 1945. C'est la fraude qui mine les fondements mêmes de cette République Sociale que les frères d'armes de la Résistance ont voulu bâtir pour la France et qu'ils nous ont léguée ».

Le mauvais Français -ou étranger ?-, le fraudeur, est celui qui trahit le CNR ; le Président, lui, n’y est pour rien. Toute responsabilité politique de sa part est écartée.

 

Compagnon de Jean Moulin, secrétaire général du CNR dont il est le dernier survivant, Robert Chambeiron expliquait dans le bulletin de l’ANACR[4] le contexte dans lequel fut établi le programme : « Il ne suffit pas de se battre, faut-il encore savoir pourquoi. Les sacrifices très lourds payés par les Résistants ne doivent pas être inutiles. Pas question de voir revenir sur le devant de la scène les hommes et les forces de la collaboration, qui ont pillé le pays et brisé les institutions républicaines. Ce programme répond à la volonté de changement exprimé par la Résistance de bâtir une société plus juste, plus solidaire, plus démocratique, plus ouverte ».

Par delà ses projets concrets, le CNR en d’autres termes, est aussi et peut-être d’abord un pacte politique, compromis historique entre « droite et gauche » s’appuyant sur un socle de valeurs essentielles, un idéal (c’est moi qui souligne) républicain. La question, essentielle à mon avis, est de savoir s’il s’agit aujourd’hui uniquement, pour une partie de la majorité présidentielle, de s’attaquer à ses mesures jugées « usées » ou, plus largement, à son origine politique singulière ?



[1] mais aussi président du groupe Scor (grand groupes mondial de réassurance), du Conseil économique et social, de la Commission des comptes de la nation, administrateur de BNP Paribas, Bolloré Investissement, Dassault Aviation

[2] tribune au « JDD » le 27 janvier 2008

[3] Ed. La Découverte, 2010

[4] Association Nationale des Anciens Combattants et Ami(e)s de la Résistance

 

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