LE MONDE DES LIVRES | 22.03.2012 à 12h11
Par Philippe Dagen
Une ville française. Pour peu qu'elle soit de quelque importance, une grande villa, un hôtel, une caserne, une école ou un château ont été, durant l'Occupation, le siège de l'un des services que les nazis et leurs collaborateurs français avaient établis partout afin de surveiller, traquer, arrêter, interroger, tuer ou déporter. Le plus souvent, nul ne s'en souvient et nulle plaque ne rappelle les faits. Aujourd'hui, traces et témoignages manquent. Oubli inconscient sans doute. Oubli insupportable pour certains, cependant.
Un hasard, dit-elle, a lancé la journaliste et romancière Dominique Sigaud dans une entreprise que l'on aurait crue impossible, la recension des lieux où, de 1940 à 1944, la Gestapo avait ses quartiers en France. Il y en avait 175. Long travail : les adresses étaient incertaines, les renseignements imprécis ou contradictoires, les déménagements fréquents, au gré des situations. Le livre a la forme neutre d'un annuaire, région par région. Dominique Sigaud a photographié les maisons encore debout, petites images en noir et blanc de façades souvent banales, et a ajouté, quand elle a pu les retrouver, des photos d'identité des gestapistes qui ont sévi là, visages ordinaires. Ce qu'ils ont fait est consigné : rafles et abominations, noms des mortes et des morts. Ces listes ne peuvent qu'être incomplètes, tant fut élevé le nombre des victimes. C'est là le plus éprouvant du livre, qui permet de mesurer l'étendue des ravages quotidiens. Familles juives, familles résistantes, otages pris au hasard : dans le moindre chef-lieu, on a torturé et assassiné des dizaines de victimes. A Héricourt, Haute-Saône, la Gestapo, installée dans la maison Bretegnier, s'emploie à envoyer à Drancy une quarantaine de familles juives polonaises. A Cahors, Lot, elle s'établit dans le dancing Robinson et la villa Artigue, rue Emile-Zola : 290 déportés, 400 morts.