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24 avril 2012 2 24 /04 /avril /2012 12:00

Conclusion (toute personnelle)

 

1 La principale continuité narrative entre les récits à la Nation fait par l’Etat sous le septennat Sarkozy et sous Pétain, me semble être dans la présentation d’une France menacée d’un danger intérieur. Non plus l’étranger nocif, inassimilé (« le bruit et l’odeur ») mais bien cette fois des Français - dont, bien sûr, il faudrait se protéger. L’Etat jette le discrédit sur une partie de la nation, présente à la vindicte des uns, le caractère « indigne d’être Français » de certains autres ; s’arroge le droit usurpatoire de délégitimer une partie de ses membres.

Le Président Sarkozy a tenu des discours suffisamment contradictoires voire clivés pour rendre possible cette faille. Il se présente à la fois comme le président de tous les Français (c’est son rôle)  et le Président des « bons » Français. Le tout, dans le même discours. Phase 1 : « Le Président de la République c'est le Président de tous les Français, (…) qui parle au nom de la France. Et la France (…) c'est tous les Français quelles que soient leurs convictions, leur religion, leurs origines. Je veux que l'identité de chacun soit respectée ». Phase 2 : «  Je veux dire aux Français que le 22 avril et le 6 mai, ils auront à choisir entre ceux qui sont attachés à l'identité nationale et qui veulent la défendre et ceux qui pensent que la France a si peu d'existence qu'elle n'a même pas d'identité », « Je veux dire aux Français qu'ils auront à choisir entre ceux qui aiment la France et ceux qui affichent leur détestation de la France » .

Une large partie du discours présidentiel utilise ces procédés de la « double contrainte » ou de « l’injonction paradoxale » : « Les paroles émises sont soit d’une rare pauvreté soit au contraire très habiles mais creuses, vides de sens réel. Elles forment comme un rideau de fumée sur le devant de la scène qui cache ce qui se passe réellement à l’arrière plan. La communication paradoxale envoie deux messages simultanés mais incompatibles, (le second) annule le premier ou même signifie exactement l’inverse. Ou encore le discours va dans un sens et les actions dans l’autre »[1].

La résistance sera un autre des thèmes du paradoxe. Phase 1 : valorisation de la « vraie France, éternelle » qui a « le visage des résistants». Phase 2 : élaboration d’une politique durement critiquée par ces mêmes résistants et allant à l’encontre des principes qu’ils défendirent.

Cette déligitimation, telle qu’elle apparaît dans la tentative de créer différents statuts de citoyens en fonction de leur origine, ascendance, religion, mais aussi de leur attitude, de leur passé, de leurs convictions ; cette façon singulière d’attribuer ou non une légitimité pleine et entière à telle catégorie de Français, montre en arrière fond un étonnant rapport au pouvoir, qui détiendrait ainsi (au nom de quoi, de qui ?) cette autorité de désignation, de jugement, de catégorisation mais aussi de dénigrement.

Lors du renouvellement des cartes d’identité, de nombreux Français ont eu les pires difficultés à prouver leur légitime appartenance à la Nation, découvert avec stupéfaction, humiliation, peine, que leur nationalité était devenue sujette à caution, n’était plus d’elle-même légitime. Une part fondamentale de leur identité devenait soudain d’une fragilité extrême. Je ne peux m’empêcher d’y voir un symptôme -et un effet- de  cette « rupture » présidentielle.

 

2  La vocation ultime de la République est de rendre possible la coexistence au sein d’une même Nation d’individus tous légitimes à s’y trouver mais  dotés de points de vue différents, opposés voire antagonistes. L’élection au suffrage universel est là pour faire accepter à une très large minorité d’être gouvernée par la vision politique d’une très courte majorité. L’indépendance de la justice, pour assurer qu’aucun citoyen ou groupe de citoyen ne puisse enfermer le reste de la Nation dans un arbitraire.  Les corps essentiels comme le Conseil Constitutionnel pour qu’aucun arbitraire politique ne l’emporte au dépens des lois essentielles de la République. La Président de la République est le garant de cette coexistence, de la perpétuation d’une culture républicaine.

Le régime de Vichy supprime la mention de « République Française » de ses actes officiels, sa devise, délégitime le socle sur lequel elle s’appuyait. Les historiens sont globalement d’accord pour reconnaître que les tenants de régime veulent « profiter » de l’occupation nazie pour effectuer leur « révolution nationale » : établir un régime autoritaire, paternaliste, xénophobe, liberticide et sont, pour partie, poussés par le sentiment de tenir là leur revanche sur les agitateurs du Front Populaire, les accords de Matignon, etc.

 

La période de l’occupation a laissé des empreintes, la fascination que le national-socialisme a exercé sur certaines « élites » politiques et économiques françaises également -voir les commentaires enthousiastes de certaines visites au III° Reich, ici en octobre 1941 : « Le moins que l’on puisse dire, c’est que la comparaison est humiliante pour nous (…) depuis qu’en France, la notion de travail a été bafouée par des organisations criminelle (les syndicats). Notre impression est qu’en Allemagne, l’autorité patronale est absolue (…) et que l’effort, le risque et l’intelligence sont toujours récompensés et honorés »[2]. Et pour cause : l’ordre nazi, liberticide, xénophobe, mysogine, d’une société fondée sur la hiérarchie et l’obéissance ne peut que faire rêver des élites traumatisées par l’effroyable désordre du Front Populaire. Et tant pis si ce modèle doit se traduire par les opposants enfermés à Dachau et les Juifs traqués, battus et bientôt exterminés. Tant pis, donc, si ce modèle s’appuie sur un profond irrespect de la personne humaine. Pour certaines de nos élites d’alors, le respect de la personne humaine est une entrave à leur liberté de production et d’organisation de la société en cases rigides -dont ils occuperaient, bien sûr, la plus enviable.

Partout en France, les élites non résistantes (des notables de gauche aussi) ont remarquablement bien vécu cette période de l’occupation qui leur fit cotoyer avec plaisir -et avantages- ce vainqueur extérieurement si élégant et éduqué qui partage avec elles le gout du luxe et du plaisir français. Partout, diners et petits fours pendant que l’aryanisation des bien juifs et la mise à mort des Juifs et résistants se poursuivait.

C’est de cela, peut-être, qu’une partie de la droite française est sortie honteuse. Annoncer la fin de la repentance, a-t-il agi sur certains comme une levée de la condamnation ? Comment entendre le sarkozyste «  repentance, mode exécrable qui veut faire expier aux fils les fautes supposées de leurs pères » ? De quelles fautes s’agit-il ? Et pourquoi supposées ?? A qui cela s’adresse-t-il ? Une fois reçu le message « les fautes de vos pères non seulement sont lavées mais seraient même effacées (supposées) au point de devenir irréelles », une fois donc la condamnation levée par le représentant de la Nation, comment ne pas favoriser le retour d’anciens fantasmes d’une idéologie autoritaire, xénophobe (et mysogine) ? Quand M. Teissier qualifie Eva Joly d’anti-France, sur quel socle s’appuie-t-il sinon cet etonnant retour en arrière. L’argument selon lequel les situations ne sont pas comparables, car Eva Joly ne sera pas envoyée en camp de concentration, a parfois fini par libérer ces dérapages. Mais la langue, notamment celle de l’autorité au sens large, produit une norme, a un effet dans le réel. En mentionnant l’Anti-France, M. Teissier réactive le contexte dans lequel elle fut utilisée. Quand une autorité légitime, en d’autres termes, utilise cette expression, il la (re)valide. Puisque personne ne sera envoyé au crématoire, on peut réutiliser la langue de Vichy, cette TFP40 qui a produit la régression politique et la déchirure historique que l’on sait.

Qu’une partie de la droite chérisse l’idée d’un retour au paternalisme autoritaire où, tous unis derrière le père de la nation, un bon peuple accepterait humblement sa précarité sociale et le sacrifice de sa liberté critique, au nom d’une sécurité ( ?) et d’un entre-soi furieusement chauvin, ne fait aucun doute.

 

Dans un article de 2007 « La mémoire partisane du Président, Le refus de la repentance a pour objectif d’entraver le travail des historiens et de réunifier la droite »[3], les historiens Catherine Coquery-Vidrovitch, Gilles Manceron et Benjamin Stora, estiment «  Le choix du président de la République de ne faire aucune déclaration officielle lors de l’anniversaire de la rafle du Vél d’Hiv qui a suivi son élection et d’en charger son Premier ministre - qui a, certes, rendu hommage au Chirac de 1995, mais aussi réduit l’antisémitisme de Vichy à sa soumission aux nazis -, ne constitue pas vraiment un démenti. D’autant que l’on voit Brice Hortefeux déplorer ( Libération du 27 juillet) que la «mémoire des morts pour la France passe aujourd’hui après la promotion de ceux qu’on présente comme morts à cause d’elle». Un tel positionnement était d’évidence dicté par un objectif bien actuel, non-historien mais politique : celui de revenir sur la cassure profonde de la droite française entre pétainisme et gaullisme ».

Réponse partielle à mon ultime question, après avoir achevé ce travail : pourquoi, comment se fait-il que des registres de langage appartenant clairement au vicho-pétainisme, ressurgissent désormais aussi facilement et parfois spontanément dans la bouche de certains dirigeants ? D’où vient que président de la Commission de la défense nationale parle d’Anti-France au sujet de la députée Eva Joly ? A-t-il voulu faire un bon mot ? Et si oui, dans quel but ? A l’adresse de qui ?


3 Un certain nombre de propositions de loi ayant déclenché l’argument de Vichy, ne sont là semble-t-il que comme effet d’annonce, les juristes chargés de les contrôler en amont, pouvant aisément penser que soit elles seront retoquées par le Conseil Constitutionnel, soit elles ne s’appliqueront pas avant des années, soit il leur manquera le décret d’application pour qu’elles entrent dans les faits.

Le but ultime serait de rassurer l’électorat du Front National (qui a toujours très complaisamment joué de la douteuse ambiguité de son rapport à la Shoah), rallier le plus possible de ses voix pour éviter sa présence au second tour de l’élection présidentielle. Nouvelle injonction paradoxale : tout Républicain devrait acquiescer à cet argument, sous peine de montrer une coupable complaisance vis à vis du FN. Tout Républicain devrait donc accepter des pratiques anti-républicaines au nom du sauvetage de la République… Une autre voie politique existe pourtant : renforcer les défenses du système immunitaire républicain, renforcer ses fondamentaux autour de la justice sociale, de l’égalité des chances, de la séparation des pouvoirs, d’une justice indépendante, de services publics dignes de ce nom ; y renforcer le respect pour chacun de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

Reste que ces effets d’annonce introduisent dans le champ politique des discours discriminatoires et la levée de certains interdits qui eux, ont des effets dans le réel. Agiter la déchéance de nationalité, la responsabilité pénale collective, la rétroactivité de la loi,…, favorise la légitimation de présupposés assez peu républicains -qui avaient trouvé à s’appliquer dans l’anti-républicain  régime de Vichy.

 

4Présentant « Vichy, Saison 2 » à deux jeunes femmes d’une trentaine d’années, je découvre qu’elles ignorent totalement l’expression « Anti-France » et ce à quoi elle renvoie ; excellente nouvelle, cette page serait donc tournée ; la nouvelle génération ne sait même plus ce que cela veut dire. Je regrette d’autant plus que certains l’aient réintroduite dans la langue politique.

 

5Je peux évidemment au gré des circonstances de mon existence, être jugée mauvaise fille, mauvaise mère ou mauvaise épouse, mauvais écrivain, mauvaise conductrice, mauvaise cuisinière. Jamais je n’avais envisagé pouvoir être qualifiée de mauvaise française. L’idée même d’une telle possibilité ne m’avait jamais effleurée, tant le lien de chacun avec sa Nation me semble si radicalement intime, impossible à juger de l’extérieur. Tant le hasard de cette naissance qui fit de moi une Française, forgeant une part irréductible de mon identité, me semblait n’appartenir qu’à mon histoire. Et c’est précisément la raison pour laquelle j’admets que certains nés Français par le même hasard, n’aiment pas ce pays, ou peu ; liberté essentielle -tant qu’elle ne se traduit pas par une mise en péril réelle de la Nation.

Ou alors, pourquoi ne pas réafficher dans nos rues, le très pétainiste portrait de 1943 et son : « Etes-vous plus Français que lui » ?

Durant l’occupation allemande, si l’on en croit Pétain, étaient mauvais Français ceux qui ne le suivaient pas ; ses « bon Français » se sont chargés de les dénoncer, les traquer voire les mettre à mort.

Il se trouve que certains de ces mauvais Français de Pétain ont sauvé pour partie l’honneur de notre Nation. Ces mauvais français qui dénigraient l’Etat français, qui détestaient la France repeinte par la Révolution nationale sont ceux qui au nom de la République, en ont sauvé une partie de l’âme au moins, la part essentielle, adossée à un désir de liberté, d’égalité et de fraternité. Celle qui permet à une Nation de vivre ensemble malgré ses divergences profondes, et ses détestations.

Jouer à nouveau d’une supposée division entre bons et mauvais Français est facile, tant les précarités grandissantes favorisent les replis identitaires, mais ce jeu est anti-constitutionnel, anti-républicain. Et c’est un reniement de « la France (…) c'est tous les Français quelles que soient leurs convictions, leur religion, leurs origines. Je veux que l'identité de chacun soit respectée ». 



[1] http://violence.morale.over-blog.com/

[2] in « Industriels et banquiers sous l’occupation », Annie Lacroix-Riz, Armand Colin 2007

[3] Libération, 13 août 2007

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